lunes, 5 de marzo de 2018

Entrevue à Mohamed Lakhal

ENTREVUE À MOHAMED LAKHAL
AÏN BOUCHRIK, LE 10 SEPTEMBRE 2017

Júlia : Bonjour Mohamed

Mohamed : Bonjour Julia

J : Mohamed est le fils d’Aïcha…

M : Oui, c’est le fils de la potière Aïcha du village Aïn Bouchrik, la khabila Sless, à Taounate qui se situe au pre-Rif, au nord du Maroc.

J : Tu connais bien les centres potiers de la région, combien de femmes il y a qui travaillent maintenant comme ça, en gardant la manière traditionnelle ?

M : Oui, je suis le fils de la potière, je connais bien cet artisanat. Je connais tous les villages des potières au Nord du Maroc, surtout dans le Rif et le pre-Rif. Ici, à Aïn Bouchrik, il reste cinq ou six femmes qui travaillent la poterie de façon accroupie, ce n’est pas avec le tour. Ça, c’est la caractéristique de la poterie féminine du Rif.

J : D’accord. Les choses identitaires sont aussi les décorations et la manière de faire la cuisson ?

M : Oui, ici c’est très différent des autres centres de potières ou de potiers au Maroc. Les formes, la couleur, les motifs… c’est complètement différent. Chaque centre de la poterie, chaque village, elle a ses motifs spéciaux.

J : Pour les reconnaître, pour les différencier d’un à l’autre… 

M : Oui, pour les séparer des autres et pour identifier chaque poterie et chaque village ; elle a ses motifs spéciaux.

J : D’accord. Pourquoi ces femmes potières n’ont presque rien changé de la manière traditionnelle de travailler ?

M : C’est comme ça, toutes ces femmes potières, elles ont pris le métier de leur mère, de mère en fille, et comme ça… Ce n’est pas avec l’intelligence ou… elles ont appris les motifs et les formes et elles gardent…

J : Elle les répète et les passe à leurs enfants, bon, à leurs filles…

M : Oui, de mère en fille, de mère en fille. C’est ça… Mais, malheureusement ce métier de la poterie ici, au village et dans tous les villages des potiers au nord du Maroc, surtout dans le Rif et le pre-Rif, est en voie de disparition. Maintenant il reste seulement les vieillards, les femmes vieilles,  qui travaillent la poterie. Et on a eu une initiative pour donner de la valeur, valoriser ce travail, cet artisanat et faire apprendre cette technique aux filles du village…

J : Aux jeunes…

M : Oui, surtout aux filles qui ne sont pas allées à l’école, qui ont arrêtées d’aller à l’école, en essaie de leur apprendre cette technique, ce métier.

J : En ce qui concerne les décorations, elles se font avec les engobes, non ?

M : Oui, d’abord il y a le travail, c’est le modelage, et après l’engobe.

J : Et tout ça, la terre, la chamotte, c’est tout de la région, d’ici ? Les engobes aussi ?

M : Oui, la matière première est toute d’ici, du village, de la région. Il y a la terre, qui s’appelle adoka, c’est l’argile, il y a la chamotte, asgine, ce sont des petites pierres pour donner la résistance a la terre. Il y a aussi la terre rouge pour l’engobe et aussi la terre blanche, pour l’engobe et la décoration et aussi le manganèse. Le seul produit qui est d’ailleurs, c’est à côté de Fès, c’est le manganèse. Ce n’est pas ici au village, mais c’est tout près, à 50 ou 60 kilomètres d’ci, du village.

J : La décoration que ces femmes potières font dans les vaisselles, a-t-elle une symbologie concrète ?

M : Ici, pour les femmes potières elles ont appris ces motifs de leur mère, c’est hérité, rien d’ajouté,  rien de changé. Les mêmes motifs qu’on trouve dans les anciennes poteries. Les plus anciennes ont les mêmes motifs qu’on trouve maintenant.
Il y a le Mahreb, des demis arcs qu’on trouve dans les mosquées, il y a les noyaux des olives, c’est leur forme. Il y a la ceinture, il y a le mille-patte…

J : Mille-patte, qu’est-ce que c’est ?

M : Le mille-patte c’est un insecte…

J : Beaucoup de choses qu’il y a dans la vie quotidienne.

M : Et qu’on trouve dans la nature. Il y a des symboles des hommes et des femmes, on trouve des grenouilles. Je ne suis pas expert de la symbologie mais ces sont les formes qu’on trouve et qu’on voit sur les pièces.

J : Il y a beaucoup de géométrie…

M : Oui, des formes géométriques.

J : Ça fait penser aussi à l’architecture.

M : À l’architecture locale, oui.

J : D’accord. Chaque village a sa propre décoration ou symbole qui permet l’identifier. Quels sont ceux d’Aïn Bouchrik ? S’il y en a certains…

M : Ici, pour identifier les pièces de la poterie d’Aïn Bouchrik, c’est avec les noyaux des olives et la ceinture. C’est ce qu’on trouve dans les colliers des femmes autour du cou. Oui, et la couleur aussi. Blanc, c’est la couleur de la poterie d’Aïn Bouchrik.

J : C’est la représentative d’Aïn Bouchrik, la blanche ?

M : Oui.

J : Avec les dessins en noir et en rouge ?

M : Oui.

J : La cuisson c’est en ciel ouvert…

M : Oui, en plein air,

J : Tu peux nous expliquer un peu leur fonctionnement et quel combustible utilisent les femmes.

M : Pour la cuisson des pièces on met en plein air. Nous avons un petit trou, la première fois on met du combustible : c’est du bois,  des bûches, de restes des olives pour donner plus de chaleur et aussi la galette de la bouse de vache. C’est pour donner une température plus haute.

J : La bouse de vache, les femmes font une tarte…

M : Oui, des galettes.

J : Ah, d’accord, la galette. Elle donne beaucoup de température et elle brûle petit à petit.

M : Oui, pour la température, elle commence de zéro et elle monte doucement, doucement jusqu’à 840-900 degrés. La cuisson dure presque une journée et la nuit, jusqu’à le lendemain.

J : Ça dépend de la quantité de pièces.

M : Ça dépend de la quantité de pièces et de la quantité de bois et de bouse de vache qu’on met dans la cuisson.

J : Ça permet aussi de faire baisser la température doucement.

M : Oui, elle diminue aussi lentement. Comme ça, avec cette température et cette technique il n’y a pas de dégâts. Les pièces ne s’explosent pas. On a un bon travail…

J : Oui, les pièces sont bien cuites.

M : Oui, oui.

J : Comment est-ce que tu vois l’avenir de la poterie au Rif?

M : Je crois… à mon opinion, le plastique a tué la poterie. Avant, toutes les maisons utilisaient les pièces de la poterie : pour charger de l’eau, pour garder de l’eau, pour garder de l’huile, pour faire le beurre, le petit lait…

J : Pour cuisiner, pour manger…

M : Oui, on n’utilisait que la poterie. Maintenant elle est déplacée parce qu’il y a le fer, l’inox, d’autres matériaux…

J : Et pour manger aussi, il y a le verre, le plastique, la céramique plus industrielle…

M : Oui. Je crois que d’ici quatre ou cinq ans, avec les vieilles femmes, ça va arrêter.

J : Avec ces femmes, cet artisanat va disparaître.

M : Oui… Mon espoir c’est de trouver une solution. La seule solution pour moi c’est de trouver un marché pour commercialiser la poterie.

J : En dehors ?

M : Même, je crois, ici au Maroc et à l’étranger. Parce que comme je suis connaisseur un peu de la poterie, il y a beaucoup des étrangers qui viennent encourager cette technique…

J : Parce qu’ils aiment peut être plus la manière traditionnelle et ici, c’est déjà vu.

M : C’est la culture, c’est un patrimoine culturel et historique des temps très anciens.

J : Est-ce qu’il y a, ou il y a eu un type d’aide de la part du gouvernement marocain pour protéger les femmes, ou la poterie en général ?

M : Non, non. Rien de rien. Seulement des initiatives de côté des étrangers. Il y a des amateurs de cet art et cette tradition, qui viennent encourager les femmes qui restent à travailler.

J : D’accord. Tu m’as parlé l’autre jour d’une association qui est en construction, que tu vas faire et qui travaillera pour la promotion et la protection de ses femmes et cette tradition artisanale. Quel sera son rôle  pour faire ça ?

M : Oui, il y a une initiative avec des amateurs de la poterie féminine du Rif et du pré-Rif, de nationalité espagnole et française. Ce sont des gens qui aiment la poterie et qui aiment la femme. On essaie de crée cette association pour valoriser, essayer de sauvegarder cette technique et cet artisanat. Notre rôle c’est d’aider la femme, pousser les jeunes filles à aimer et à apprendre cet artisanat et cette technique, dans le but de chercher, de commercialiser cette technique et ces pièces. Notre valeur c’est de préserver et garder cet artisanat.

J : Peut-être que la chose la plus prioritaire ce serait de l’enseigner aux jeunes filles pour garder l’esprit et après la commercialisation pourra se faire.

M : Oui, comme je t’ai dit à la première question, il y a des filles qui ont arrêtées d’aller à l’école. Maintenant, tu vois, au village, le lycée c’est un peu loin du village et les filles arrêtent de continuer leur carrière.  En essaie de sensibiliser et encourager ces filles à travailler, à toucher la terre, aimer cette poterie, dans le but de garder et préserver ce patrimoine.

J : D’accord. Bon, on a fini, merci beaucoup, shokran, shokran

M : De rien Julia, on espère que tu seras ici un membre actif de notre association.

J : Oui. Ma petite part peut être de faire arriver mon expérience aux autres…

M : Oui, et parler de ce village, de cette technique, de cette poterie et de ces femmes. Tu vois, comme Aïcha… je crois que la plus jeune c’est Aïcha.

J : La plus jeune ?! Quel âge a Aïcha ?

M : Quatre-vingt-quatre ans, et les autres sont très, très vieilles. On espère qu’on trouvera la relève.

J : Oui, on espère. Merci beaucoup.




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