ENTREVUE À
MOHAMED LAKHAL
AÏN BOUCHRIK, LE
10 SEPTEMBRE 2017
Júlia :
Bonjour Mohamed
Mohamed :
Bonjour Julia
J : Mohamed est
le fils d’Aïcha…
M : Oui,
c’est le fils de la potière Aïcha du village Aïn Bouchrik, la khabila Sless, à
Taounate qui se situe au pre-Rif, au nord du Maroc.
J : Tu
connais bien les centres potiers de la région, combien de femmes il y a qui
travaillent maintenant comme ça, en gardant la manière traditionnelle ?
M : Oui, je
suis le fils de la potière, je connais bien cet artisanat. Je connais tous les
villages des potières au Nord du Maroc, surtout dans le Rif et le pre-Rif. Ici,
à Aïn Bouchrik, il reste cinq ou six femmes qui travaillent la poterie de façon
accroupie, ce n’est pas avec le tour. Ça, c’est la caractéristique de la
poterie féminine du Rif.
J :
D’accord. Les choses identitaires sont aussi les décorations et la manière de
faire la cuisson ?
M : Oui, ici
c’est très différent des autres centres de potières ou de potiers au Maroc. Les
formes, la couleur, les motifs… c’est complètement différent. Chaque centre de
la poterie, chaque village, elle a ses motifs spéciaux.
J : Pour les
reconnaître, pour les différencier d’un à l’autre…
M : Oui,
pour les séparer des autres et pour identifier chaque poterie et chaque village ;
elle a ses motifs spéciaux.
J :
D’accord. Pourquoi ces femmes potières n’ont presque rien changé de la manière
traditionnelle de travailler ?
M : C’est
comme ça, toutes ces femmes potières, elles ont pris le métier de leur mère, de
mère en fille, et comme ça… Ce n’est pas avec l’intelligence ou… elles ont
appris les motifs et les formes et elles gardent…
J : Elle les
répète et les passe à leurs enfants, bon, à leurs filles…
M : Oui, de
mère en fille, de mère en fille. C’est ça… Mais, malheureusement ce métier de
la poterie ici, au village et dans tous les villages des potiers au nord du
Maroc, surtout dans le Rif et le pre-Rif, est en voie de disparition.
Maintenant il reste seulement les vieillards, les femmes vieilles, qui travaillent la poterie. Et on a eu une
initiative pour donner de la valeur, valoriser ce travail, cet artisanat et
faire apprendre cette technique aux filles du village…
J : Aux
jeunes…
M : Oui,
surtout aux filles qui ne sont pas allées à l’école, qui ont arrêtées d’aller à
l’école, en essaie de leur apprendre cette technique, ce métier.
J : En ce
qui concerne les décorations, elles se font avec les engobes, non ?
M : Oui,
d’abord il y a le travail, c’est le modelage, et après l’engobe.
J : Et tout
ça, la terre, la chamotte, c’est tout de la région, d’ici ? Les engobes
aussi ?
M : Oui, la
matière première est toute d’ici, du village, de la région. Il y a la terre,
qui s’appelle adoka, c’est l’argile,
il y a la chamotte, asgine, ce sont
des petites pierres pour donner la résistance a la terre. Il y a aussi la terre
rouge pour l’engobe et aussi la terre blanche, pour l’engobe et la décoration
et aussi le manganèse. Le seul produit qui est d’ailleurs, c’est à côté de Fès,
c’est le manganèse. Ce n’est pas ici au village, mais c’est tout près, à 50 ou
60 kilomètres d’ci, du village.
J : La
décoration que ces femmes potières font dans les vaisselles, a-t-elle une
symbologie concrète ?
M : Ici,
pour les femmes potières elles ont appris ces motifs de leur mère, c’est
hérité, rien d’ajouté, rien de changé.
Les mêmes motifs qu’on trouve dans les anciennes poteries. Les plus anciennes
ont les mêmes motifs qu’on trouve maintenant.
Il y a le Mahreb,
des demis arcs qu’on trouve dans les mosquées, il y a les noyaux des olives,
c’est leur forme. Il y a la ceinture, il y a le mille-patte…
J :
Mille-patte, qu’est-ce que c’est ?
M : Le
mille-patte c’est un insecte…
J : Beaucoup
de choses qu’il y a dans la vie quotidienne.
M : Et qu’on
trouve dans la nature. Il y a des symboles des hommes et des femmes, on trouve
des grenouilles. Je ne suis pas expert de la symbologie mais ces sont les formes
qu’on trouve et qu’on voit sur les pièces.
J : Il y a
beaucoup de géométrie…
M : Oui, des
formes géométriques.
J : Ça fait
penser aussi à l’architecture.
M : À l’architecture
locale, oui.
J :
D’accord. Chaque village a sa propre décoration ou symbole qui permet
l’identifier. Quels sont ceux d’Aïn Bouchrik ? S’il y en a certains…
M : Ici,
pour identifier les pièces de la poterie d’Aïn Bouchrik, c’est avec les noyaux
des olives et la ceinture. C’est ce qu’on trouve dans les colliers des femmes
autour du cou. Oui, et la couleur aussi. Blanc, c’est la couleur de la poterie
d’Aïn Bouchrik.
J : C’est la
représentative d’Aïn Bouchrik, la blanche ?
M : Oui.
J : Avec les
dessins en noir et en rouge ?
M : Oui.
J : La
cuisson c’est en ciel ouvert…
M : Oui, en
plein air,
J : Tu peux
nous expliquer un peu leur fonctionnement et quel combustible utilisent les
femmes.
M : Pour la
cuisson des pièces on met en plein air. Nous avons un petit trou, la première
fois on met du combustible : c’est du bois, des bûches, de restes des olives pour donner
plus de chaleur et aussi la galette de la bouse de vache. C’est pour donner une
température plus haute.
J : La bouse
de vache, les femmes font une tarte…
M : Oui, des
galettes.
J : Ah,
d’accord, la galette. Elle donne beaucoup de température et elle brûle petit à
petit.
M : Oui,
pour la température, elle commence de zéro et elle monte doucement, doucement
jusqu’à 840-900 degrés. La cuisson dure presque une journée et la nuit, jusqu’à
le lendemain.
J : Ça
dépend de la quantité de pièces.
M : Ça
dépend de la quantité de pièces et de la quantité de bois et de bouse de vache
qu’on met dans la cuisson.
J : Ça
permet aussi de faire baisser la température doucement.
M : Oui,
elle diminue aussi lentement. Comme ça, avec cette température et cette
technique il n’y a pas de dégâts. Les pièces ne s’explosent pas. On a un bon
travail…
J : Oui, les
pièces sont bien cuites.
M : Oui,
oui.
J : Comment
est-ce que tu vois l’avenir de la poterie au Rif?
M : Je
crois… à mon opinion, le plastique a tué la poterie. Avant, toutes les maisons
utilisaient les pièces de la poterie : pour charger de l’eau, pour garder
de l’eau, pour garder de l’huile, pour faire le beurre, le petit lait…
J : Pour
cuisiner, pour manger…
M : Oui, on
n’utilisait que la poterie. Maintenant elle est déplacée parce qu’il y a le
fer, l’inox, d’autres matériaux…
J : Et pour
manger aussi, il y a le verre, le plastique, la céramique plus industrielle…
M : Oui. Je
crois que d’ici quatre ou cinq ans, avec les vieilles femmes, ça va arrêter.
J : Avec ces
femmes, cet artisanat va disparaître.
M : Oui… Mon
espoir c’est de trouver une solution. La seule solution pour moi c’est de
trouver un marché pour commercialiser la poterie.
J : En dehors ?
M : Même, je
crois, ici au Maroc et à l’étranger. Parce que comme je suis connaisseur un peu
de la poterie, il y a beaucoup des étrangers qui viennent encourager cette
technique…
J : Parce
qu’ils aiment peut être plus la manière traditionnelle et ici, c’est déjà vu.
M : C’est la
culture, c’est un patrimoine culturel et historique des temps très anciens.
J : Est-ce
qu’il y a, ou il y a eu un type d’aide de la part du gouvernement marocain pour
protéger les femmes, ou la poterie en général ?
M : Non,
non. Rien de rien. Seulement des initiatives de côté des étrangers. Il y a des
amateurs de cet art et cette tradition, qui viennent encourager les femmes qui
restent à travailler.
J : D’accord.
Tu m’as parlé l’autre jour d’une association qui est en construction, que tu
vas faire et qui travaillera pour la promotion et la protection de ses femmes
et cette tradition artisanale. Quel sera son rôle pour faire ça ?
M : Oui, il
y a une initiative avec des amateurs de la poterie féminine du Rif et du pré-Rif,
de nationalité espagnole et française. Ce sont des gens qui aiment la poterie
et qui aiment la femme. On essaie de crée cette association pour valoriser,
essayer de sauvegarder cette technique et cet artisanat. Notre rôle c’est d’aider
la femme, pousser les jeunes filles à aimer et à apprendre cet artisanat et
cette technique, dans le but de chercher, de commercialiser cette technique et
ces pièces. Notre valeur c’est de préserver et garder cet artisanat.
J :
Peut-être que la chose la plus prioritaire ce serait de l’enseigner aux jeunes
filles pour garder l’esprit et après la commercialisation pourra se faire.
M : Oui,
comme je t’ai dit à la première question, il y a des filles qui ont arrêtées
d’aller à l’école. Maintenant, tu vois, au village, le lycée c’est un peu loin
du village et les filles arrêtent de continuer leur carrière. En essaie de sensibiliser et encourager ces filles
à travailler, à toucher la terre, aimer cette poterie, dans le but de garder et
préserver ce patrimoine.
J :
D’accord. Bon, on a fini, merci beaucoup, shokran,
shokran…
M : De rien
Julia, on espère que tu seras ici un membre actif de notre association.
J : Oui. Ma
petite part peut être de faire arriver mon expérience aux autres…
M : Oui, et
parler de ce village, de cette technique, de cette poterie et de ces femmes. Tu
vois, comme Aïcha… je crois que la plus jeune c’est Aïcha.
J : La plus
jeune ?! Quel âge a Aïcha ?
M :
Quatre-vingt-quatre ans, et les autres sont très, très vieilles. On espère
qu’on trouvera la relève.
J : Oui, on
espère. Merci beaucoup.
No hay comentarios:
Publicar un comentario